Elle se dirigeait vers la mosquée.
La chaleur, écrasante, ne semblait pas l'affecter, elle incommodait pourtant
les badauds qui s'empressaient d'entrer dans l'enceinte pour profiter de la
climatisation. Son esprit était ailleurs, aujourd'hui sera un jour
irremplaçable, celui qu'on appelle plus communément, le plus beau jour de sa
vie.
Pas après pas, elle songeait à cette rencontre improbable,
inespérée, tant désirée. Son cœur s'emballait à l'idée de rencontrer son amour
caché. Elle se savait privilégiée et passait son temps entre sourire et larme,
tentant de camoufler son humeur à l'aide d'un niqab qu'elle remontait quand
l'envie lui venait.
Arrivée en ce lieu béni, elle interrogeait son cœur sur
maintes questions, observait ses notes sur les règles d'usages, elle voulait
que tout soit parfait. Elle avait tant rêvé de lui, tant prié pour lui, tant
pleuré pour lui... Lui, son bien-aimé.
Aucun de ses apprêts n'a servi. A la vision d'un des murs de
sa chambre, elle ne put résister à l'appel de cet occupant. Elle brûlait tant
d'amour qu'elle quitta la file qu'elle avait tenu durant de longues heures et
éclata en sanglot. Dans son passage, elle agrippa une tige de bois puis la
plaça face elle afin de faire barrage. Face à elle, des tombeaux mais également
la direction de la Mecque ; elle débuta par deux unités de prière en guise de
remerciement pour ce fabuleux cadeau de son Seigneur (il est permis de
prier à cet endroit, un mur sépare la chambre de la salle de prière). A la
fin de celle-ci, elle adressa ses salutations à la meilleure des créatures, le
remercia pour tous ses sacrifices. Son cœur, battait dans sa poitrine, désirant
plus que tout voir celui qui occupe tant de place en son sein.
Elle resta là, immobile, la tête entre les mains à
sangloter. Ces larmes, particulières, flambaient d'amour ardent et leurs
brûlures sera elle l'espère, salvatrices. D'autres fois, elle souriait entre
deux larmoiements pour lui exprimer son affection. Elle aurait aimé agir autrement
mais son corps en était incapable. Cet homme, béni de Dieu, avait sacrifié sa
vie pour elle, pour qu'elle connaisse La vérité ; il s'était fait battre,
humilié, insulté, a refusé à son confort personnel pour le bonheur d'autrui ;
on assassina ses proches mais il priait pour la guidée de ces bourreaux. Il
incarnait la perfection humaine et l'exemple à suivre.
Jamais elle ne pleura autant d'amour pour un homme, il me
semble même qu'il était le seul. Ce privilégié attirait les foules, les
amoureux de toutes places lui rendaient visite. Il est le sceau des Prophètes,
l'Élu de Dieu.
* « Ô Allah ! Que la paix et Tes bénédictions soient
sur notre Bien-aimé Prophète Muhammed, ainsi que les prières de tous les
croyants et de toutes les croyantes, dans les contrées orientales, les contrées
occidentales, dans les pays plats, dans les montagnes, sur la terre ferme et
sur la mer, ainsi que mes prières, celles de mes parents et mes aïeux, autant
de prières que les astres qui illumine Ton Trône, autant de prières que le nombre
de Tes paroles, autant de prières que ce que Ta Science dénombre, autant de
prières que ce que Ton Livre embrasse ».
La paix voguait au-dessus des âmes et se heurtait quelques
fois à des corps trop lourd d'affliction. Elle fut touchée et cette
confrontation modifia à jamais sa conception du bonheur.
Elle réintégra la file d'attente après cette parenthèse qui
dura en réalité une éternité. La fatigue et une douleur dorsale la saisissait
mais rien ne pouvait plus la refréner, elle avait tant attendu ce jour que
seule la mort aurait pu lui barrer la route. Elle avançait lentement, on la
bousculait mais elle était dans une optique de pardon et répliquait par des
sourires. L'excitation de ces femmes, venues des quatre coins du globe était
décelable et compréhensible. Les cultures et le dévoilement des émotions
étaient différents d'un continent à un autre. Elle avait grandi dans un foyer
où il était coutume de se contenir pour ne rien dévoiler. Elle se couvrait le
visage pour qu'on n'entrevoie pas son teint rougeâtre, qui d'ordinaire était
blafard. Elle ne pouvait cacher ses yeux bouffis où la plupart des vaisseaux
étaient apparents. Qu'importe, elle s'approchait inéluctablement du lieu de
rencontre. On la chahutait de toutes parts mais elle semblait séjourner dans un
monde parallèle et vivait littéralement le bonheur. Elle n'était plus qu'à
quelques pas de lui et songeait à sa condition prospère, elle qui vivait à
plusieurs milliers de kilomètres de celui qui lui enseigna chaque action de son
quotidien, la voie de la réussite et de la félicité.
Arrivé devant la grande porte, on fit signe aux trois
premiers rangs de s'asseoir, elle s'assied. Elle n'était plus qu'à quelques
mètres de l'endroit qu'elle considère comme le meilleur au monde, là où repose
le corps béni du Bien-aimé d'Allah*. Les larmes ne pouvaient cesser et
lorsqu'elle croisait d'autres amantes en larmes, elle pleurait de plus belles.
Il était temps, elle entrait tranquillement dans le respect
de l'usage, on la bousculait mais rien ne semblait la perturber. Elle se plaça
sur Al-Rawda, reconnaissable par des tapis rouges, lieu considéré comme un
jardin du paradis, positionné entre la chaire du Prophète* et sa maison. Elle y
pria deux unités de prière dans lesquelles elle remercia grandement Son
Seigneur pour l'immense bienfait qu'Il lui accorda. Consciente de son privilège
et dans une volonté d'étouffer toute ambiguïté, elle choisit de réciter la
sourate Al-Kafiroun (109) pour rejeter tout associé à son Seigneur puis
poursuivit par la sourate Ikhlass (112) afin d'affirmer cette fois Son Unicité
la plus pure. Son degré d'amour pour le Seigneur et Son Prophète* était incomparable,
l'un devait être accompagné d'acte d'adoration, l'autre non. Elle fit très
attention à ne pas franchir ces limites, imposées par les lois d'Allah.
Honorer de prier en ce lieu, son cœur ne pouvait s'empêcher
de penser à son tête à tête. Cette rencontre ne pouvait être que
particulière...
Elle s'approcha ensuite du mur le plus proche. Sa curiosité
n'étant pas rassasiée, il lui fallait une meilleure visibilité. Elle saisit une
chaise puis se suréleva pour voir à travers les moucharabiehs recouverts d'or dont
les sublimes calligraphies représentaient des passages du Coran et le nom des
locataires de cette chambre funéraire. L'ornementation était très belle, à
l'image de ces trois hommes à la destinée fabuleuse.
La niche centrale était celle de notre Bien-aimé Prophète*
et les autres, celles des deux premiers califes du monde musulman : Abu Bakr
As-Siddiq et 'Omar Ibn Al-Khattab (qu'Allah les agrée). Elle les salua avec
quiétude et voix basse puis transmis les salutations de ses proches et eut
enfin un monologue avec le Prophète de la miséricorde*. Les morts entendent les
vivants, elle le savait, elle n'attendait ni réponse ni signe sortit d'un conte
fantastique, elle désirait juste lui exprimer sa gratitude et son amour sans
rien demander en retour. Ses réponses elle les avait toutes, il les avait
transmis par l'intermédiaire du Coran et de la Sunna.
« Je témoigne que tu as transmis le message, que tu as
bien remis ce qui t'a été confié, que tu as conseillé ta communauté et que tu
as lutté dans la voie de Dieu comme il le faut [...] ».
Elle séchait ses larmes, fatiguée et satisfaite, elle avait
le cœur en paix. Elle descendait de son piédestal et céda son tour aux
suivantes et s'en alla en se retournant quelques fois en souriant.
Jamais elle n'était allé au bout de ses rêves, elle avait
réalisé une chose nouvelle et le trio que formait son âme, son esprit et son
cœur, s'accordaient sur le fait qu'un point culminant du bonheur avait été
atteint et qu'aucune chose matérielle en ce monde n'avait su et n'aurai su étancher.
Il faut le vivre pour le croire. Aucune théorie ne
remplacera une pratique et aucune règle ne remplacera la spontanéité d'une
amante.
H.B.